Mon parcours en coopération a croisé bien des crises politiques et climatiques, mais c’est la première fois que mon travail est à ce point perturbé en raison d’une crise sanitaire internationale. J’ai vécu de nombreuses années au Guatemala. Les interventions d’urgence ont ponctué mon travail, mais jamais le contact humain n’avait été un obstacle.
Un texte d’Elisabeth Desgranges, conseillère en égalité des genres à SOCODEVI
À mon arrivée à SOCODEVI, j’ai été impliquée dans nos projets en Amérique latine, principalement au niveau des processus d’inclusion des femmes dans les coopératives agricoles. J’ai alors découvert non seulement une équipe dévouée et une organisation dynamique, mais surtout une alternative durable et solidaire pour le développement économique : l’approche coopérative.
ELISABETH DESGRANGES
Conseillère en égalité des genres
Au sein des coopératives que j’ai visitées, les comités de femmes et de jeunes développaient des politiques d’égalité et des plans d’action pour une meilleure participation féminine dans les structures décisionnelles de leur organisation, afin de promouvoir l’inclusion et l’égalité. Mon rôle étant d’accompagner ces processus, je mesurais déjà l’ampleur de la tâche dans les différents projets.
La pandémie contre les femmes
Puis, sans prévenir, la COVID-19 a tétanisé la planète, exacerbant les inégalités dont sont majoritairement victimes les femmes. Par exemple, en Colombie, les chiffres (Restrepo et al., Core Women, 2020) montrent une diminution nettement plus importante des activités rurales rémunérées pour les femmes que pour les hommes en raison de la pandémie, alors que l’espace occupé par les femmes étaient déjà restreint. Il est donc primordial pour nous de ne pas retarder l’exécution de nos projets pour éviter que davantage de rêves soient mis sur pause.
Les coopératives et les associations ont vite réagi pour diminuer l’impact de la pandémie sur leurs membres. À SOCODEVI, nous avons également réévalué les priorités, sans toutefois céder à la ‘tyrannie de l’urgence’. Nous gardons donc le cap sur l’égalité des genres, puisque l’expérience et les données probantes confirment que l’impact de la pandémie sur les femmes est disproportionné, tout comme cela a été le cas lors d’autres crises. On parle de pertes de revenu et d’augmentation de la charge mentale, des tâches domestiques, de la vulnérabilité en contexte de violence conjugale, etc. La crise nous force donc à prioriser la santé et la prévention de la violence. Nos partenaires consultent les femmes et s’associent à des organismes locaux de défenses des droits des femmes pour la mise sur pied de campagnes de sensibilisation des violences basées sur le genre.
Taux d’activités rurales rémunurées avant la pandémie (Colombie)
Taux de réduction des emplois ruraux entre mars et avril 2020 (Colombie)
Surmonter les défis
En Colombie, comme dans les autres projets de SOCODEVI, calendriers et activités ont été revus, d’abord pour assurer la sécurité physique de toutes et tous, puis pour prévenir la violence contre les femmes, assurer la sécurité alimentaire des familles, minimiser l’impact économique de cette crise et assurer le maintien de conditions de vie dignes. Certaines familles ont d’ailleurs créé, dans les derniers mois, des potagers pour se nourrir le plus localement possible. Malgré les contraintes engendrées par la pandémie (accès au transport, fermetures de frontières, rareté de la main-d’œuvre, diminution de la demande, etc.), nous avons trouvé les moyens de poursuivre les formations, les activités agricoles et la mise sur pied de stratégies de commercialisation.
D’ailleurs, dans les pays où nous travaillons, le passage au virtuel ne se fait pas en claquant des doigts. L’accès à internet ou à un réseau fiable est très inégal. Toutefois, la créativité est au rendez-vous pour maintenir le contact! Les formations se poursuivent sous la forme de capsules radiophoniques ou via les réseaux sociaux ou encore à travers des visites individuelles aux familles.
Pendant qu’au Canada on parle de relance et on critique certaines décisions, ailleurs, les populations ne peuvent compter sur des programmes gouvernementaux aussi généreux et démocratiques. On se préoccupe encore de survivre, simplement. Les coopératives tentent de pallier l’absence de filet social, en gardant le cap sur la reprise économique, qui viendra. Ces entreprises, symboles de résilience, sont et resteront nos alliées pour améliorer les conditions de vie des populations de manière inclusive et durable.
Pensons coop!
Vous savez, quand les restaurants et les petits cafés d’ici ferment leurs portes, cela a des répercussions désastreuses pour nos entreprises locales, mais aussi pour les producteurs et les productrices de café. Qui achètera leurs produits ? Des coopératives, appuyées par SOCODEVI, ont notamment mis en place des programmes de rachat de la production, pour éviter qu’elle ne soit vendue au rabais afin d’obtenir de l’argent rapidement. Par exemple, durant la pandémie au Honduras, un tel programme a permis à des familles participantes au projet CAHOVA d’obtenir le triple du prix transigé à la bourse pour leur café.
SOCODEVI poursuit son labeur pour une sortie de crise moins douloureuse et pour assurer que la COVID-19 ne rimera pas avec un recul des droits et des conditions de vie des femmes et des filles.
Après tout ce temps en coopération internationale, j’en suis convaincue : les coopératives peuvent être d’importants leviers économiques et des piliers de résilience dans l’adversité, notamment pour les femmes. Alors, pour une relance économique inclusive et durable, pensons coop !
Elisabeth Desgranges est conseillère en égalité des genres à SOCODEVI depuis novembre 2019. Elle œuvre en coopération depuis 18 ans. Elle détient une formation en études autochtones et en éducation, ainsi qu’une maîtrise en science des religions.